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Le doigt sur la tranche

Et demain, qu'est-ce qu'on lit ?

Et si vous étiez le dernier ?

Combien de temps ? Combien de temps un type né dans les années 80 tiendrait en pleine nature sauvage ? Pas de supermarché, pas de téléphone, pas de pommeau de douche lumineux... Je me suis déjà interrogé sur mes capacités en de telles circonstances, arrivant en quelques secondes à une conclusion implacable : je ne survivrais pas plus longtemps qu'un poux sur le crâne d'Alain Juppé. J'ai grandi à la campagne avec des grands-parents agriculteurs, pourtant j'aurais du mal à exploiter les ressources autour de moi. Le seul truc que j'ai fait pousser de ma vie, c'est ma barbe, et c'est franchement pas terrible. En quelques générations, la majeure partie de la planète est devenue totalement dépendante de tout un tas de trucs absolument pas essentiels à la vie, et on deviendrait tous un peu couillon si on nous coupait ne serait-ce qu'Internet pendant deux jours.

C'est un roman d'anticipation mais on espère qu'il n'anticipe pas trop bien. L'Américaine Jean Hegland a écrit il y a plus de 20 ans Dans la forêt, fraichement traduit en français chez Gallmeister. Eva et Nell, deux soeurs de 17 et 18 ans, se retrouvent seules dans la maison familiale, perdue dans les forêts de Californie du Nord, après la disparition de leurs parents. Autour d'elles, le monde plonge petit à petit dans le chaos : plus d'électricité ni de téléphone, encore moins d'essence ou de vivres dans la ville la plus proche. Les deux adolescentes, et le lecteur, n'ont que très peu d'éléments sur l'état du monde. Sont-elles les deux dernières personnes sur Terre ?

Malgré le succès interplanetaire de ce blog, on a su rester simple en matière d'illustration.

Malgré le succès interplanetaire de ce blog, on a su rester simple en matière d'illustration.

Tu ne l'apprendras pas ici. Je peux juste te dire que Jean Hegland installe avec minutie et justesse une atmosphère bourrée d'angoisse. Quand il est question de survie, la mort est partout. Animaux sauvages, feux de forêt, manque de vivres, tout un tas de dangers flottent autour des deux soeurs. Ce sont elles-mêmes, pourtant, leur pire ennemi. Les non-dits, la jalousie, la fatigue mentale et physique ainsi que les diverses frustrations maintiennent leur relation sur la corde raide. Très liées, Eva et Nell alternent entre les périodes d'extrême tension et des instants de symbiose capitaux pour leur survie.

Un sequoia, en pleine Californie du Nord. Je vous ai déjà parlé de mon voyage aux Etats-Unis ?

Un sequoia, en pleine Californie du Nord. Je vous ai déjà parlé de mon voyage aux Etats-Unis ?

La force de l'écriture de Jean Hegland, c'est de nous faire passer de l'euphorie à l'anxiété sans en avoir l'air, toujours d'une plume simple et douce. Au fil des épreuves, les soeurs voient les codes de notre civilisation moderne les abandonner en même temps qu'elles apprennent à maîtriser leur environnement. J'ai aimé cette glissade vers les instincts premiers de l'homme parce qu'il m'a rappelé ce bon vieux Buck. Buck, ce chien de compagnie californien s'éveillant à sa nature profonde en Alaska dans L'appel de la forêt, classique de Jack London.

Dans ces moments de trouble où Donald et Kim semblent s'amuser à jouer à celui qui pisse le plus loin avec pour enjeu la planète entière, on apprendra en plus quelques trucs sympas pour tenter de survivre dans le chaos s'il y en a vraiment un des deux qui finit par ouvrir sa braguette. Comme ramasser des glands. C'est désormais une tradition, je vous laisse avec quelques lignes du bouquin.

Extrait !

A un peu plus d'un kilomètre environ à l'est de la maison, la forêt commence à s'éclaircir. Les séquoias disparaissent en premier, puis petit à petit les sapins et les érables. Et enfin quand l'arbousier et le laurier s'effacent à leur tour, la terre s'ouvre, s'aplanit sur une large crête où il ne reste que des chênes - des chênes de Californie si solidement ancrés dans le sol qu'on dirait plus des monuments que des arbres. Loin du fouillis et de l'enchevêtrement de la forêt, ils sont massifs, leurs troncs épais, leurs branches s'étalant avec élégance au-dessus de l'herbe dorée. Ce sont de vieux arbres tranquilles, lourds de feuilles robustes et courbes et de noix en grappes couleur miel, et ce sont vers eux que nous sommes allées pour apprendre à récolter des glands.
Si vous voulez ramasser des glands, il faut ramper. Vous devez avancer à quatre pattes comme un animal ou un suppliant et vous traîner dans la poussière et les résidus végétaux, vous traîner sur vos paumes et vos genoux en écartant les feuilles pointues et les cupules vides pour trouver des glands mûrs.
Cela nécessite bien plus d'adresse que je ne l'avais imaginé. Hier j'ai ramassé un plein sac avant de m'apercevoir que même le plus petit trou de la taille d'une piqûre d'épingle dans le gland signifie qu'il y a un asticot blanc qui se tortille à l'intérieur. Ce matin, j'ai dû inspecter chaque gland pour voir s'il était troué avant de le mettre dans mon sac. Mais cet après-midi je pouvais presque dire si un gland n'était pas véreux en le tâtant simplement quand je le ramassais.
Nos mains sont occupées, mais c'est un travail lent. Faire le tour d'un arbre peut prendre des heures d'un labeur minutieux, lequel commence autour du tronc et progresse en spirales jusqu'à la limite de la ramure. On a chaud et on est couvert de poussière, on a mal au dos et aux genoux. Mais il y a un rythme à prendre, lent et rêveur. Au bout d'un moment, c'est presque une prière.

T'as aimé ? Essaie ça ! : T'as envie de te faire peur sans bouger de ton fauteuil, enchaîne sur Sukkwan Island, également chez Gallmeister, de David Vann. Un père et son fils adolescent en vacances sur une île sauvage d'Alaska. C'est l'horreur totale, pourtant l'auteur nous agrippe tellement fort qu'on est incapable de lâcher le livre.

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